A la suite des mobilisations de jeunes femmes protestant contre les règles vestimentaires en vigueur dans leurs établissements scolaires, l'institut Ifop a mené un sondage pour "Marianne" sur le sujet de la "tenue décente" au lycée.
Personne n'a vraiment compris ce que le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer entendait lorsqu'il a encouragé les lycéennes à s'habiller "de façon républicaine" en allant en cours. Mais la question passionne et divise : en marge de la rentrée scolaire, et alors que l'été a été marqué par une série de polémiques où des femmes se sont vu refuser l'entrée de lieux publics (supermarché, musée) en raison de leur décolleté, des jeunes se sont mobilisées pour dénoncer les règles vestimentaires de leurs établissements scolaires, jugées trop strictes et sexistes. Les mots-dièses #Balancetonbahut et #Lundi14septembre ont appuyé cette initiative, visant à contester la notion de tenue "décente" et le flou nourri par le Code de l'éducation sur le sujet (seuls les vêtements manifestant ostensiblement une appartenance religieuse sont proscrits). Une enquête de l'institut Ifop, menée pour Marianne auprès de 2.027 personnes, révèle l'état divisé de l'opinion publique au sujet de différents habits féminins.
Les femmes plus conservatrices que les hommes ?
Les "hauts avec décolleté plongeant" suscitent là aussi une forte opposition, avec 62% de Français favorables à une interdiction, le clivage entre les générations étant moins marqué concernant ce choix vestimentaire. Le signe, pour François Kraus, "des difficultés culturelles à 'dés-érotiser' une poitrine féminine qui paraît sans doute à beaucoup comme une partie du corps susceptible de surexposer les lycéennes à des formes d’agression sexuelle". En revanche, le sondeur relève qu'il n'y a "pas d’opposition manifeste au dévoilement des sous-vêtements féminins – 28% des Français sont favorables aux débardeurs laissant apparaître les bretelles du soutien-gorge –, signe que pour la majorité de la population, l’institution scolaire ne doit pas constituer en soi un frein à l’expression vestimentaire de la culture juvénile si celle-ci n’implique pas un dévoilement de la peau." D'après Kraus, le "vêtement le plus caractéristique du mouvement du #14septembre, au point d’en faire l’équivalent de la mini-jupe pour la génération du baby-boom", est le crop top, ce haut moulant qui dévoile le nombril des jeunes femmes qui le portent. 55% des Français se prononcent pour leur interdiction dans les lycées, dont 70% des plus de 65 ans, 66% des musulmans et 59% des catholiques. Pour le spécialiste de l'Ifop, "le rejet que suscite le crop top semble l’expression d’un puritanisme qui impose aux femmes - et seulement à elles - de cacher leur chair du regard des autres au nom d’un principe de 'décence' que l’on retrouve également, chez certains, envers les cheveux (par exemple via le port du voile). La preuve en est que cette opposition au « crop top » est particulièrement forte dans les catégories de Français où le conservatisme en matière de mœurs est généralement le plus répandu" : à savoir les plus de 65 ans (70% pour l'interdiction), les sympathisants LR (67%) et les musulmans (66%), fortement opposés aux jeunes de moins de 25 ans, aux sympathisants de gauche et aux personnes se déclarant féministes.
L'Ifop a également "testé" l'approbation du symbole de l'émancipation féminine dans les années 1960, à savoir la mini-jupe : une courte majorité de 51% est favorable à son autorisation dans les lycées publics. Signe des différences de symbolique renvoyées par les vêtements, contrairement au crop top ou au no bra, la mini-jupe est plus acceptée par les plus de 65 ans (50%) que les 18-29 ans (52% pour l'interdiction). En résumé, l'étude de l'Ifop livre un enseignement attendu, à savoir que "les anciennes générations se positionnent davantage pour une réglementation des tenues des jeunes filles". Ceci illustrerait le fait que les populations plus âgées "considèrent encore que c'est aux filles de gérer le désir masculin en faisant preuve de 'bonne mesure' sur le plan vestimentaire", alors que les plus jeunes "appartiennent à une génération qui, dans le droit fil du 'body positive' et du mouvement Metoo, montrent leurs corps et rejettent fermement le caractère sexiste de toutes règles vestimentaires." Autre conclusion, plus surprenante celle-ci : le conservatisme supérieur des femmes en matière d'injonction vestimentaire, qui se vérifie presque pour chaque tenue testée par l'institut de sondage. Pour François Kraus, ceci "peut révéler l’ancrage des biais sexistes dans la société, puisque les femmes elles-mêmes peuvent porter un regard sexué sur le corps des jeunes lycéennes". Néanmoins, "du fait des nombreux cas de harcèlement de rue, peut-être les femmes expriment-elles ici leur désarroi en pensant que le fait de ne pas porter ce type de vêtements réduit les risques de comportements violents à leur égard."